Né dans les dernières heures de la Seconde Guerre mondiale, en mars 1945, Anselm Kiefer est un plasticien allemand qui s’est fait connaître en France en 2007 lors de Monumenta, premier d’une série d’expositions/événements permettant à un artiste invité d’investir l’immense nef du Grand Palais pour y installer une création originale au format monumental.
Son exposition Pour Paul Celan, est également la première à entièrement investir les espaces du Grand Palais Ephémère, localisé sur le Champs de Mars. L’artiste nous fait pénétrer dans dans son univers et nous sommes immédiatement frappés par les toiles monumentales, fortement éclairées, afin de contraster avec la pénombre du bâtiment, faisant ainsi écho au contraste qui se retrouve dans les œuvres.
De vastes plaines s’étendent dans la nuit, ici et là éclairées par des fougères ornées de feuilles d’or, des nuées blanches, ou des stries orangées, comme si la terre avait été brûlée. Parfois, ce sont les cieux qui sont illuminés. Paul Celan (1920 – 1970), poète aux origines juives et roumaines écrivant principalement en allemand, voit ses vers inscrits à la craie blanche et formant des constellations dans les toiles de Kiefer. Kiefer rend ainsi hommage à Paul Celan, témoin et victime de l’Holocauste, dont l’œuvre cherche à décrire les horreurs de la guerre en déconstruisant la langue allemande.
Avant de sortir de l’exposition, la vue est bloquée par de grandes étagères en métal sur lesquelles s’entassent des moules en plâtres, des pierres, des végétaux, des habits, tel un grand espace de stockage pour débris. Cette installation est la reproduction de l’atelier de Kiefer. L’artiste nous invite ainsi non seulement à rejoindre son univers, mais également son processus créatif.
L’exposition Hommage à un Poète, quant à elle, s’installe dans l’immense espace de la galerie Thaddaeus Ropac – Pantin, bien que plus modeste que le Grand Palais Éphémère, ce lieu est l’un des plus grands espaces d’exposition de galerie à Paris et un parfait écrin pour les toiles de Kiefer. Elle s’inscrit dans la continuité de l’évènement du Grand Palais Ephémère.
Cette fois-ci, Kiefer évoque d’autres auteurs qui l’ont inspiré : Ingeborg Bachmann (1926 – 1973), poétesse autrichienne ayant tenu une correspondance avec Paul Celan ; Ossip Mandelstamm (1891 – 1938), poète et essayiste russe ; et August Graf von Platen (1796 – 1835), poète lyrique et dramaturge allemand. Ingeborg Bachmann et Ossip Mandelstamm inspirent Kiefer dans leur façon de chercher à exprimer le traumatisme qu’ils ont vécu : la seconde guerre mondiale pour la première, le goulag pour le second. August Graf von Platen, lui, s’inscrit dans le romantisme allemand au tournant du 19e siècle.
La littérature est au cœur de l’œuvre de Kiefer, pour lui : le langage permet d’explorer le non-dit à travers les sonorités et la subversion des mots. Cette subversion, il la travaillera à l’image, aidé de ses inspirations lyriques que lui offrent ces poètes.
Anselm Kiefer veut comprendre, il veut modeler son vécu et son mal-être, il cherche à saisir l’invisible de son héritage. Il se dépêtre dans la noirceur de son histoire, il fait jaillir de la lumière en plein milieu d’un ciel sombre, il éclaire par des champs enneigés. Des chariots s’envolent, des coquelicots se fossilisent et tapissent le sol de ses toiles gigantesques.
Dans ses entretiens, Kiefer évoque souvent la différence entre le temps « humain » et le temps « minéral ». Différentes chronologies s’entrelacent ainsi dans ses œuvres, aussi bien dans les histoires et les mémoires évoquées, que par les matériaux. Le plasticien considère qu’une peinture n’est jamais achevée ; celle-ci peut, des années plus tard, encore être travaillée ou même découpée. Plusieurs toiles exposées sont ainsi composées d’anciennes toiles auxquelles s’ajoutent des éléments plus récents.
Au travers de ses thèmes, Kiefer aborde encore une fois différentes temporalités. Des installations telles que l’avion de guerre, criblé de balles et lesté de plomb, font évidemment référence symboliquement à l’histoire du XXe siècle et plus particulièrement la 2nde Guerre Mondiale. Cependant, la présence de végétation, telles que les fougères, et les insignes inscrits dans ses ciels nous évoquent des éléments intemporels et qui nous précèdent. Il confronte ainsi des évènements clés de l’humanité ainsi que les traces de notre passage dans une chronologie cosmique qui nous dépasse.
L’œuvre de Kiefer est particulièrement engagée. Ces deux expositions coïncident avec le début de la présidence française du Conseil de l’Union Européenne pour 6 mois et s’inscrivent donc dans toute une réflexion sur ce qui définit l’Europe à travers son histoire et sa culture. Pour le plasticien, il s’agit de témoigner de ce lourd héritage, et pour les poètes qu’il évoque dans ses toiles. Ces histoires doivent pour lui rester vivantes, et présentes dans les débats qui concernent l’Europe.
Anselm Kiefer – Pour Paul Celan, Grand Palais Ephémère, place Joffre 75007 Paris
16 décembre 2021 – 11 janvier 2022
Anselm Kiefer – Hommage à un Poète, galerie Thaddaeus Ropac, 69 Avenue du Général Leclerc 93500 Pantin
9 janvier – 11 mai 2022