Selon Oscar Wilde, l’art dans son ensemble ne peut exposer une part de vérité absolue. Une infinité de facteurs s’immisce entre une œuvre et un spectateur afin de créer une barrière imaginaire qui laisse bien souvent un homme en suspens seul devant une œuvre, prêt à tout pour comprendre les sentiments d’un artiste. La photographie en tant qu’activité artistique ne peut échapper aux secrets d’une œuvre d’art, c’est ce qui fait bien évidemment la beauté de cette pratique. Qu’il s’agisse d’une vue d’ensemble sur une montagne, ou d’un gros plan sur visage, nul spectateur ne peut affirmer entendre ce que l’image dit, réellement. Nous prenons alors l’œuvre d’art comme elle vient, avec une vision plus ou moins fiée à ce que la technique permet d’exprimer chez l’artiste.
Pour le photographe Américain William Eggleston la représentation de son œuvre passe nécessairement par le travail de la couleur. L’artiste qui débuta la photographie en noir et blanc inspirée par Henri Cartier-Bresson et Robert Frank, deviendra la figure du progrès photographique et l’un des pionniers du travail en couleur. C’est en 1965 qu’il cesse de travailler en noir et blanc et qu’il devient au fil de son travail le visage de l’innovation et du modernisme dans ce domaine. Eggleston s’installe dans une sphère d’expérimentation et de découverte, au point d’être aujourd’hui présenté comme l’un des précurseurs de la photographie en couleur.
Son œuvre est majoritairement perçu comme une captation du quotidien qui se concentre sur les jeux entre les couleurs et les formes géométriques. On pourrait à travers ses photographies s’imaginer dans Blue Velvet de David Lynch, on pourrait regretter les sublimes Cadillac ornant les rues de Memphis, mais on doit quoi qu’il arrive apprécier l’usure d’un visage, la beauté d’une jeunesse et la représentation de l’Amérique que le photographe nous emmène à voir. Si William Klein est reconnu aujourd’hui comme un photographe urbain autant que Lindbergh est rattaché à la mode, Eggleston reste lui un photographe dont l’œuvre est intimement liée à la banlieue dans son ensemble, de l’expansion des multinationales dans les villages (McDonald’s, Esso..) aux vieux pneus, ainsi qu’aux climatiseurs abandonnés, aux bouteilles de Coca-Cola, aux affiches déchirées ou aux palmiers amassés sur le même bord de trottoir…
Présentée par le musée d’art moderne de New York et réédité en 2002, le guide de William Eggleston garde le titre honorifique de premier ouvrage consacré aux photographies en couleurs. Au-delà de l’histoire qu’il contient, ce guide est une façon incroyable d’admirer le travail d’un des photographes les plus visionnaires de l’histoire, qui encore aujourd’hui inspire par son approche singulière du paysage, de la banlieue, de l’homme et du quotidien.